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Comme talismans, les tissus

 

La Loire coule, rapide, à travers une gorge verdoyante. À quelques mètres de là, dans son atelier en surplomb de la rivière, Hélène Jospé peint. Sous ses mains attentives, le rouleau de soie se dévide et, en une lente progression, prend des couleurs. Dans le même temps, en contrebas, les teintes de la forêt voisine se reflètent à la surface soyeuse du courant. Au fond c’est peut-être ça, pour l’art, imiter la nature : non pas la figurer, mais faire comme elle ! La soie peinte est aussi translucide et fluide que la rivière. Et ses couleurs changent, comme les reflets sur l’eau, avec les saisons. Hélène Jospé a séjourné au Japon, elle a des affinités manifestes avec sa culture traditionnelle, la sensibilité à la nature et la communion avec les puissances de l’univers. Les quatre saisons de nos climats sont présentes dans ses tissus peints tout comme à la surface mouvante de l’eau.

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Elle a faite sienne une technique d’impression millénaire, pratiquée en Afrique de l’Ouest, au Moyen-Orient et en Asie : le batik (1). Sur le tissu tendu horizontalement sur un dévidoir, elle applique la cire chaude qui délimitera des zones de réserve, elle choisit ses pigments, elle peint ; puis, avec un fer à repasser très chaud, elle fait fondre la cire. Elle pratique aussi le shibori (2). Ce que nous voyons, ce sont ainsi les traces d’une activité complexe qui exige à la fois une grande maîtrise technique et une ouverture à l’inattendu. La Nature a suggéré des couleurs, parfois aussi des formes mais le résultat n’a rien de convenu. Ces tissus sont d’étonnantes créatures !

D’ailleurs là où certains ne voient que du tissu, Hélène Jospé est sensible aux différences de matière, de texture, de sensations. Elle connaît chaque espèce par son nom : soie, satin, rayonne, batiste, chintz, taffetas, mousseline, coton, cretonne, organdi, lainage, étamine, velours… Elle parle amoureusement du fil, des tresses, des rubans et des broderies présents dans son atelier, elle célèbre les travaux d’aiguilles. Coudre est un art, un vêtement est une œuvre même lorsqu’elle n’est pas celle d’un grand couturier en vogue. Ce ne sont ni la haute couture ni la mode qui éblouissent cette artiste mais les savoir-faire artisanaux et elle contribue à leur donner place dans le monde contemporain. Généreuse, elle tisse des relations avec d’autres et s’attache aux pratiques collectives.(3)

 

 Si les humains étaient poilus, velus, s’ils avaient une coquille ou une carapace, bref si Épiméthée, dans son insouciance, ne les avait pas oubliés dans la distribution des défenses naturelles, ils n’auraient peut-être pas inventé cette peau artificielle, ces pelures, qui recouvrent et abritent leur corps. La richesse et la variété des vêtements, d’une civilisation à une autre, sont inépuisables. Hélène Jospé est curieuse de ces ailleurs ; elle a voyagé et séjourné en Algérie, au Maroc, en Syrie, au Japon, y a  travaillé avec d’autres et noué des amitiés. Les vêtements somptueux qu’elle coud se souviennent de ces rencontres.

 

Elle expose ici sept tabliers, autant que de jours de la semaine. Ils évoquent les travaux tenus le plus souvent pour féminins. Les tabliers de cuisine ordinaires protègent des traces de farine et des éclaboussures de sauce mais les somptueux tabliers d’Hélène Jospé, cousus avec des chutes et comme destinés à des géantes, ne seraient-ils pas protecteurs eux aussi, à la manière d’une présence maternelle ?

 

F. Maillet-Le Roux, juillet 2023

1 -  Le batik indonésien est inscrit depuis 2009 par l’Unesco sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l’humanité.

 

 2 -  Technique de teinture japonaise où on obtient la réserve par ligature du tissu.

 

3  - Ainsi fait-elle partie du collectif FU (Fil Utile) fondé en 2020 à Saint-Étienne pour favoriser le lien entre les gens de pratiques différentes ayant en commun de travailler dans la filière textile.

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